
La vie d’un conducteur de trains se résume à quoi ?
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Bonjour j’aurais quelque questions concernant le métiers… ( quand vous répondez, fermez pas le canal s’il vous plaît j’aurais plusieurs questions 😭 ) Merci à vous…
Pierre R. a posé une question à Conduite des trains
Catégorie: Progression de carrière
Date: dimanche, septembre 21, 2025
Dernière révision: dimanche, septembre 28, 2025
Pierre R.
Bonjour,
Je me permets de vous écrire car j’ai plusieurs questions concernant le métier de conducteur de train.
Recrutement / Formation :
- Comment s’est passée votre sélection avant l’entrée en formation (tests, entretien) ?
- Pouvez-vous me décrire en détail ce qu’on fait pendant la formation : comment sont organisées les journées et les plages horaires, si c’est difficile, si l’on doit mettre sa vie sociale de côté, et quel est le salaire pendant cette période ?
Après la formation :
- Pouvez-vous me décrire votre quotidien après la prise de poste : horaires et plages de travail, fréquence des découchés, difficulté du métier, et quel est le salaire sans et avec les primes ?
(Petite parenthèse : vous avez le plus beau bureau de France 😉)
Merci beaucoup pour vos futures réponses.
Je laisse le canal ouvert car j’aurai d’autres questions prochainement 🙏
Je vous souhaite une agréable soirée et bon courage pour vos prochaines prises de poste !
dimanche, septembre 21, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Bonjour Pierre,
Pour répondre à vos questions:
- Comment s’est passée votre sélection avant l’entrée en formation (tests, entretien) ?
Le processus de sélection est le même pour tout le monde : un candidat postule, son CV est lu par les recruteurs qui s'il les intéresse et correspond aux critères fixés pour l'accès au métier recontactent le candidat pour un premier entretien téléphonique au cours duquel sont notamment abordées les motivations du candidat à exercer ce métier. Si l'entretien est satisfaisant pour les recruteurs, le candidat recevra par mail un lien pour effectuer une série de tests psychotechniques et cognitifs. En cas de réussite, le candidat sera invité à répondre en vidéo à des questions qui lui seront posées et qu'il ne connaît pas à l'avance. Le temps pour répondre est limité car l'entreprise veut une réponse franche et honnête. Puis un second entretien sera organisé avec un/une responsable du futur lieu d'affectation et un/une psychologue du travail, en visio. En cas de réussite le candidat sera convié pour la dernière étape de validation : la visite d'aptitude sécurité (visite médicale pointue), journée durant laquelle les candidats passent en général une seconde série de tests psychomoteurs et cognitifs, ainsi qu'une évaluation psychologique en vue d'obtenir la Licence de conducteur de train.
Si tout est validé le candidat recevra sa date d'accueil dans son établissement et tout lui sera expliqué sur le déroulement de la formation.
- Pouvez-vous me décrire en détail ce qu’on fait pendant la formation : comment sont organisées les journées et les plages horaires, si c’est difficile, si l’on doit mettre sa vie sociale de côté, et quel est le salaire pendant cette période ?
Alors la formation alterne entre cours théoriques, généralement dans un Campus, et des stages pratiques sur le lieu d'affectation. Les cours sont sur des horaires de bureau classiques, ils sont dispensés par des formateurs expérimentés et l'on y étudie la réglementation ferroviaire, d'abord les bases et la signalisation, le fonctionnement normal des installations, comment fonctionnent les freins, comment fonctionne la chaîne de traction des engins, etc etc etc. Dans une seconde partie (après examen validant), les candidats admis étudieront les anomalies et comment y faire face. La formation est découpée en UV (Unité Validante), chaque fin d'UV donnant lieu à une évaluation à laquelle la note minimale à obtenir pour valider est de 12/20. Pour ne rien vous cacher, la formation est complexe, il y a une quantité d'informations à apprendre (et comprendre) assez conséquente, et contrairement au scolaire on ne peut pas se permettre d'oublier les chapitres déjà vus quand on passe aux suivants (d'ailleurs les évaluations comportent souvent des questions revenants sur les premiers points abordés pour vérifier qu'ils restent acquis). La quantité de travail à fournir est bien sûr différente selon les capacités de chacun, mais de manière générale oui il va falloir fournir des efforts considérables, mettre sa vie totalement entre parenthèses pendant un an. Bien sûr il y a des périodes de vacances pour décompresser un peu mais il ne faut pas se mettre en mode farniente, il faut quand même réviser un peu chaque jour pour maintenir les connaissances. Et en semaine de cours rester pour réviser avec les camarades plusieurs soirs par semaine, le travail en groupe est très important. Donc oui c'est compliqué, la vie sociale disparaît quasiment pendant un an, on ne peut pas assister à des évènements familiaux, etc. Mais derrière on peut obtenir un travail intéressant avec beaucoup d'autonomie.
La partie stages pratiques s'effectue sur le périmètre du dépôt d'attache, sur des horaires décalés pour suivre la journée d'un conducteur moniteur. Le conducteur apprenant sera ainsi mis aux commandes des trains, sous la surveillance étroite du moniteur, qui le fera également travailler les points réglementaires déjà vus en cours. Ainsi les apprenants peuvent commencer à comprendre ce qu'implique la vie de conducteur en termes de sommeil, de déphasage horaire, de découchers loin de chez soi, etc, et certains se rendent compte que cette vie ne va pas leur convenir seulement en en faisant l'expérience.
Le salaire sera celui négocié lors des entretiens du processus de recrutement, et comme les primes varient selon les dépôts d'affectation il est compliqué de vous donner une somme précise.
- Pouvez-vous me décrire votre quotidien après la prise de poste : horaires et plages de travail, fréquence des découchés, difficulté du métier, et quel est le salaire sans et avec les primes ?
Les horaires changent chaque jour, et selon les dépôts, actuellement au plus tôt (pour mon roulement) je peux commencer vers 3h du matin, au plus tard finir à minuit et demi. Les journées font généralement entre 7 et 11h d'amplitude, il y a des plus courtes en retour de découché mais ce n'est pas le cas général. Je fais environ 2 découchés par semaine.
La difficulté du métier elle dépend de chacun j'ai envie de dire, à quel point la personne s'implique à faire bien son travail, la gestion de la fatigue et du sommeil qui est un défi quotidien, et la partie qu'on ne contrôle pas : les aléas de production (incidents, pannes, etc). Tout cela peut faire varier la difficulté d'une même journée du tout au tout.
Niveau salaire un jeune conducteur commence (en moyenne, primes comprises) entre 2000 et 2500€ par mois (à temps complet), parfois le chiffre en bas de la fiche de paie est inférieur ou supérieur, souvent c'est dû au temps de comptabiliser certaines primes qui sont alors versées sur le mois d'après en rattrapage du mois précédent où elle n'auront pas pu être versées. Donc le salaire chaque mois est différent, c'est aussi une variable à prendre en compte.
Nous restons à votre écoute pour d'autres questions.
Cordialement,
Corentin
dimanche, septembre 21, 2025
Pierre R.
Bonjour,
Merci beaucoup d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
J’ai lu attentivement votre message, qui m’a permis d’apprendre énormément de choses et m’a confirmé certains points. Je vous en remercie infiniment.
Ce métier est vraiment magnifique et je ferai tout mon possible pour le devenir. Malgré mon jeune âge, je ne sais pas si cela peut avoir un impact sur mon recrutement.
J’avais également quelques autres questions à vous poser :
• Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir conducteur de train ?
• Quelles sont les qualités les plus importantes pour ce métier ?
• Est-ce un métier stressant ? Si oui, qu’est-ce qui est le plus difficile ?
• Qu’aimez-vous le plus dans votre travail ?
• Que faites-vous en cas d’urgence, comme un obstacle sur la voie ou une panne ?
• Comment gérez-vous la fatigue ou les horaires décalés ?
• Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite devenir conducteur de train ?
• Est-ce qu’un score de 82 % au MOOC Destination Conduite est considéré comme bon / suffisant pour le recrutement SNCF ?
Merci sincèrement pour votre temps et vos réponses 🥹
(J’aurai certainement d’autres questions à poser plus tard.)
Bonne journée !
dimanche, septembre 21, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Avec plaisir, on est là pour ça et ça fait plaisir d'avoir des discussions plus ciblées sur le métier que sur le processus de recrutement lui-même.
Bien entendu quelqu'un de très jeune aura davantage de mal à convaincre un recruteur de l'embaucher surtout pour un travail qui implique autant de responsabilités (on a quand même la vie de nos voyageurs, de nos collègues et même parfois de tiers entre les mains). Cela dit ce n'est pas impossible, dans mon école sur 5 ayant eu l'examen, deux avaient 19 ans.
Mais une embauche jeune signifie aussi de ne pas forcément avoir pu se constituer un parcours universitaire ou professionnel permettant de retomber sur ses pattes en cas d'échec à la formation (il faut malheureusement l'envisager) ou si plus tard vous ne pouvez plus exercer (pour une raison X ou Y)... une reconversion plus tard sans formation ou autre compétence professionnelle peut s'avérer compliqué, c'est pourquoi il peut être intéressant de penser à se constituer un plan bis.
À présent passons à vos questions:
- Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir conducteur de train ?
C'était un rêve de gamin dans mon cas, les trains m'ont toujours attiré. Aujourd'hui je m'épanouis dans cet univers passionnant, mais je dois admettre que le train perd de sa magie quand on connaît l'envers du décor, même si le chemin de fer reste un monde fascinant.
• Quelles sont les qualités les plus importantes pour ce métier ?
Alors déjà la ponctualité, l'assiduité, le sens des reponsabilités et savoir garder son sang froid.
• Est-ce un métier stressant ? Si oui, qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Il peut l'être. Si tout se passe bien, le métier est bien sûr un peu stressant sur les premiers trains qu'on fait seul car il n'y a plus de moniteur pour rattraper une connerie, on est seul avec nos centaines de voyageurs derrière et quand on roule tout va très vite. Avec le temps on s'y fait, mais le stress peut vite remonter quand les procédures s'accumulent. C'est un métier pour lequel il faut un cerveau bien fait, parce que beaucoup de choses se jouent mentalement, il n'y a pas toujours de rappel et le conducteur doit se souvenir de tout.
Pour illustrer cela un conducteur doit en permanence surveiller l'infrastructure (rails, caténaires, voies et alentours des voies), surveiller ses instruments (pression des conduites de frein, voyants d'alerte, etc), surveiller sa vitesse et savoir à quelle vitesse maximale il peut rouler (il n'y a pas forcément de panneaux sur le terrain pour nous le dire), savoir à quel kilomètre il se trouve, quel est son prochain arrêt et son point de freinage, comment il pourra repartir de là, quelle signalisation il a rencontré en dernier et si elle doit induire un comportement particulier, et tout ça juste en temps normal sans aucune procédure ou ordre qui se rajoute par-dessus. Donc forcément tout incident vient rajouter une pression supplémentaire, sans compter la pression temporelle car on sait que nos voyageurs (qu'on doit trouver le temps d'informer) vont être en retard et nous aussi pour ce qu'on a d'autre à faire dans la journée, etc. Alors oui, le métier peut être stressant parfois.
• Qu’aimez-vous le plus dans votre travail ?
J'aime l'autonomie qu'on a, la variété des trajets et des matériels que je peux conduire, profiter du lever de soleil en roulant.
• Que faites-vous en cas d’urgence, comme un obstacle sur la voie ou une panne ?
Eh bien on prend les mesures qui s'imposent et apprises en formation (nous devons connaître par coeur les actions immédiates à effectuer quelle que soit la situation) pour protéger notre train, les autres trains, les autres personnes pouvant être impliquées. Un obstacle évidemment implique l'arrêt du train, une panne pas forcément selon la nature de la panne. Dans le cas d'une panne puis nous sommes formés à tester un premier dépannage dans certains cas pour pouvoir repartir, même à vitesse limitée.
• Comment gérez-vous la fatigue ou les horaires décalés ?
Il faut avoir une bonne hygiène de vie, savoir aussi se contrôler et être raisonnable pour s'imposer une heure de coucher par exemple, ou ne pas rester avec des amis/collègues si on a besoin de sommeil. C'est dur parfois dans un métier aussi solitaire de ne pas pouvoir profiter du peu d'interractions sociales qu'on peut avoir, mais il ne faut jamais perdre de vue que nous sommes seuls garants à bord de la sécurité de tous, et qu'on se doit d'être au mieux de notre forme même avec des horaires aussi complexes.
• Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite devenir conducteur de train ?
Prendre conscience que le rythme de vie n'est pas éprouvant que pour votre organisme, mais va aussi l'être pour vos proches, votre famille, et ce pour toute la carrière, la communication est donc clé pour faire comprendre aux autres les conséquences de votre choix de métier. Mais aussi que si c'est vraiment ce que vous voulez faire, va falloir s'accrocher et ne rien lâcher, on termine la formation sur les rotules parce qu'elle est sacrément costaud mais le jeu en vaut (encore) la chandelle.
• Est-ce qu’un score de 82 % au MOOC Destination Conduite est considéré comme bon / suffisant pour le recrutement SNCF ?
Oui c'est un score tout à fait honorable, il n'y a pas de contre-indications au recrutement de toute façon dans la mesure où le MOOC est facultatif (même si fortement conseillé), et avec un tel pourcentage de réussite c'est clairement à mettre en avant.
Si vous avez d'autres questions je suis toujours disponible.
dimanche, septembre 21, 2025
Pierre R.
Merci beaucoup pour toutes vos réponses détaillées et vos conseils. Cela m’aide vraiment à mieux comprendre la réalité du métier, ses exigences et les défis à relever. J’apprécie aussi votre honnêteté concernant le facteur âge et la nécessité d’avoir un plan B, cela me permet de mieux me préparer.
Je trouve que parler du recrutement est intéressant, mais pour moi, le plus important reste ce qui se passe après le recrutement. C’est pour cela que je pose des questions sur le métier lui-même, plutôt que sur l’entretien ou le processus de sélection, qui sont plus basiques.
Pour préciser, lorsque j’ai postulé j’avais 18 ans, et je vais avoir 19 ans à la prochaine section. Je suis conscient que mon jeune âge peut être un défi, mais je suis très motivé et prêt à m’investir pleinement pour réussir.
J’aimerais profiter de votre disponibilité pour vous poser quelques autres questions :
- Vous avez mentionné que connaître par cœur les actions à effectuer en cas d’urgence est essentiel. Quelles sont les situations ou obstacles les plus fréquents que vous rencontrez ? Y a-t-il déjà eu des cas que vous n’aviez jamais vus auparavant ?
- Comment se passe la formation pratique sur différents matériels et types de trains ? Est-ce qu’on peut rapidement s’adapter à plusieurs modèles ?
- Est-ce que la conduite sur certaines lignes est plus difficile ou exigeante que d’autres ? Pourquoi ?
- Vous parlez de la solitude du métier. Comment les conducteurs gèrent-ils le contact avec les collègues et le soutien entre eux ?
- Avec l’expérience, quelles sont les habitudes ou techniques qui permettent de mieux gérer le stress au quotidien ?
- Y a-t-il des compétences ou qualités que vous auriez aimé développer avant de commencer pour mieux réussir dans le métier ?
Merci encore pour votre temps et votre disponibilité. Je mesure vraiment la chance d’échanger avec quelqu’un qui connaît aussi bien ce métier passionnant 😄😄
( j’aurais d’autres questions )
dimanche, septembre 21, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Honnêtement je comprends les interrogations concernant le parcours de recrutement qui n'est pas simple, mais quelqu'un qui comme toi pousse davantage pour se renseigner sur le métier c'est très bien, et à la toute base c'est pour ce genre de questions que mes collègues et moi sommes Ambassadeurs. Parce qu'on aime raconter nos métiers et leur réalité.
Cela démontre déjà de ta part une certaine maturité, c'est rassurant quant à la suite de ton recrutement, pas de raison que ça se passe mal.
Je te propose qu'on se tutoie, ce sera mieux pour la suite d'autant qu'à la SNCF tout le monde se tutoie (ou presque).
- Vous avez mentionné que connaître par cœur les actions à effectuer en cas d’urgence est essentiel. Quelles sont les situations ou obstacles les plus fréquents que vous rencontrez ? Y a-t-il déjà eu des cas que vous n’aviez jamais vus auparavant ?
Oh les incidents ne représentent pas une grande part dans la conduite, la majorité du temps tout se passe sans incident ni panne. Les incidents fréquents sont souvent liés aux passages à niveau pour diverses raisons, ou bien aux heurts d'animaux et les pannes les plus fréquentes sont des pannes moteurs (transparent pour les voyageurs en général). Les situations dangereuses les plus fréquentes (même si cela aboutit relativement rarement à un accident) sont les traversées de voie, les gens inconscients des risques qui soit se promènent sur ou à proximité des voies, soit pensent avoir le temps de traverser devant le train, soit sont assis sur le quai les jambes dans la voie. Cela est source de frayeur/stress pour les conducteurs car nous craignons toujours un accident de personne. Les gros incidents qui nécessitent tout un tas de mesures d'urgence sont heureusement assez rares, mais il faut rester bien à jour pour pouvoir mettre ces mesures en application si le cas se présente.
Bien entendu les incidents ne sont pas non plus toujours des cas d'école bien définis dans le règlement! C'est aussi là la compétence d'un conducteur, savoir faire appel à son savoir et son intelligence pour gérer au mieux une situation qui serait un "entre-deux" de plusieurs procédures ou bien qui ne rentre pas tout à fait "dans les clous" d'un cas défini. Si tout était binaire on serait déjà remplacé par des IA. Fort heureusement c'est encore loin d'être possible.
- Comment se passe la formation pratique sur différents matériels et types de trains ? Est-ce qu’on peut rapidement s’adapter à plusieurs modèles ?
Durant la formation initiale on nous forme sur un ou deux types de trains, qu'on appelle nos "engins de base". Comme on a le temps de les étudier en parallèle sur toute une année, on les maîtrise en profondeur en sortie d'école. Par la suite quand on monte en compétences par contre on estime que l'expérience fera le reste et la formation sur un nouveau modèle se fait souvent sur deux jours maxi, charge au conducteur d'approfondir lui-même sur son temps libre ses connaissances plus poussées sur l'engin. Heureusement on peut toujours compter sur les récits des collègues qui le conduisent déjà et profiter de leur expérience dessus. Du coup oui c'est assez "rapide" pour être formé à d'autres engins (c'est la même chose pour d'autres lignes). Par contre si la formation théorique est rapide (lire les manuels et les comprendre se fait assez rapidement), en pratique l'adaptation de la conduite entre différents matériels peut être plus complexe : un train avec locomotive + voitures se conduit différemment d'un ensemble automoteur, en particulier si la locomotive est ancienne : alors la conduite requièrt beaucoup plus d'anticipation notamment du profil de la voie pour ne pas se retrouver en survitesse et anticiper les décélérations pour les points d'arrêt par exemple. Les règles de conduite, de freinage et les équipements sont différents car la technologie n'est pas la même. C'est donc tout un réapprentissage des gestes quotidiens qui est à faire puisque les choses ne se font pas pareil ou qu'il y a des choses nouvelles à faire (et à ne surtout pas oublier sous peine d'avoir de gros problèmes en ligne...).
- Est-ce que la conduite sur certaines lignes est plus difficile ou exigeante que d’autres ? Pourquoi ?
Oui bien entendu, les lignes sont différentes et certaines peuvent être plus exigeantes. Ça peut être parce que la signalisation n'y est pas la même, ou parce que telle ligne est équipées de dispositifs non présents sur une autre ligne et qu'il faut pouvoir maîtriser aussi ou plus simplement parce qu'on peut y rouler plus vite, ce qui demande davantage de ressources cérébrales car tout ce qu'il faut observer s'accélère et il faut rester capable de réagir très vite en cas de pépin.
- Vous parlez de la solitude du métier. Comment les conducteurs gèrent-ils le contact avec les collègues et le soutien entre eux ?
En cabine c'est très solitaire (et sur beaucoup de trains on a même pas de contrôleur avec qui parler au départ ou à l'arrivée), on reste parfois seuls pendant des heures avec pour seul contact le salut visuel des collègues de la voie ou des agents des postes d'aiguillage. De manière générale ça se passe très bien avec les autres et quand on a un peu de temps en gare on peut échanger quelques mots autour d'un café avec les collègues d'un autre service. On tisse parfois des liens avec certains, et ça peut toujours être l'occasion d'en apprendre davantage sur le fonctionnement ferroviaire que ce qui est enseigné en formation, et apprendre comment les autres travaillent et ce qu'ils font dans telle ou telle situation (ce qui peut aider à comprendre nos propres procédures). De manière générale il y a une grande solidarité entre conducteurs car on sait tous à quel point la formation est difficile et on sait les efforts qu'on a dû faire pour mériter notre place. Il y a entre nous cette reconnaissance d'avoir accompli quelque chose. Et il y a toujours l'occasion d'échanger quelques mots quand on croise les collègues dans le local de prise de service, lors d'une relève de conducteurs à quai ou encore mieux lors d'un découcher commun. Cela a tendance à se perdre, mais parfois lors des découchers un collègue propose de manger ensemble quelque part (voire même de faire à manger sur place car les locaux sont équipés pour) et c'est l'occasion pour tous ceux qui se réunissent autour de la table d'échanger sur leurs expériences, apprendre des évènements vécus par les autres, et souvent un grand moment de rigolade aussi. Mais comme je l'ai dit cela se raréfie car le monde s'individualise beaucoup, le sens collectif disparaît hélas progressivement.
- Avec l’expérience, quelles sont les habitudes ou techniques qui permettent de mieux gérer le stress au quotidien ?
En situation perturbée et même avec plusieurs procédures je dirais qu'on a pas besoin d'avoir recours à quoi que ce soit, le stress est techniquement gérable (les tests psychotechniques au recrutement vérifient justement la capacité des candidats à gérer une situation où on les mets volontairement en stress). Toute tension accumulée partira avec une bonne douche chaude une fois rentré à la maison ou à l'hôtel.
En revanche on peut vivre une situation qui génère un pic de stress fort et soudain, il ne faut alors pas hésiter à profiter d'un arrêt (prévu ou pas) pour souffler un peu, extérioriser d'une manière ou d'une autre pour faire descendre le rythme cardiaque. Il est possible de faire des exercices de respiration pour contrôler son système parasympathique et revenir à la conduite en étant apaisé. C'est très rare mais ça arrive, j'y ai eu recours une fois l'année dernière après avoir failli percuter des enfants une nuit d'Halloween alors qu'ils venaient de traverser un passage à niveau fermé habillés en costumes noirs (je ne les ai vus au dernier moment que grâce au halo des phares des voitures arrêtées, d'où ma frayeur...). J'ai alors pris mon temps à l'arrêt commercial qui suivait pour faire descendre le stress soudain et ne pas risquer de faire ensuite une erreur qui aurait pu impacter la sécurité de mes voyageurs.
- Y a-t-il des compétences ou qualités que vous auriez aimé développer avant de commencer pour mieux réussir dans le métier ?
Alors dans mon cas c'est un peu particulier car j'ai fait une reconversion en interne après avoir été Aiguilleur du rail pendant 8 ans, ce qui m'a apporté autant les connaissances que la maturité personnelle et professionnelle que je pouvais espérer pour faire ce métier. Donc non. Mais d'autres collègues avec un autre parcours pourraient eux répondre très différemment à cette question.
En revanche je peux témoigner que la formation a totalement changé un de mes camarades d'école. Il est entré en étant réservé, presque timide, pas sûr de lui, parlant tout bas au tableau. Les formateurs arrivaient facilement à le faire douter et à le dérouter alors qu'il avait la bonne réponse. Sauf qu'un conducteur doit pouvoir s'affirmer et pas s'écraser face à un ordre qui mettrait des gens en danger, et pouvoir résister à la pression et être sûr de ce qu'il fait (sans tomber dans l'excès de confiance non plus, c'est un jeu d'équilibre constant). Eh bien on l'a tellement poussé à s'affirmer et à nous résister pendant nos séances de révision qu'il s'est totalement transformé, il a pris confiance en lui comme jamais et s'est totalement ouvert, ce n'est plus la même personne qu'avant et il est heureux comme tout dans ses trains aujourd'hui.
Ça par exemple c'est un trait de caractère qu'il peut être utile de travailler, mais cet exemple est aussi la preuve que le changement en cours de route n'est pas impossible quand on y met la volonté.
dimanche, septembre 21, 2025
Pierre R.
Merci beaucoup pour ton message et pour le temps que tu prends à partager ton expérience. Franchement, ça me motive énormément de te lire ! Ça me rassure aussi sur mes choix et ça me donne encore plus envie d’aller au bout de ce projet. C’est super de voir que tu prends le temps de partager la réalité du métier et ça m’aide énormément à mieux comprendre ce qu’implique être conducteur de train et je trouve ça vraiment précieux. Tes réponses sont très rassurantes et motivantes, surtout pour quelqu’un comme moi qui découvre encore le métier. Je suis d’accord, il est important de s’intéresser au métier lui-même, et pas seulement au parcours de recrutement. C’est super que vous soyez Ambassadeurs et que vous preniez le temps de raconter la réalité du métier.
Pour te donner un peu de contexte, mon père travaille à la SNCF et c’est en faisant un stage dans un technicentre que j’ai vraiment eu envie de devenir conducteur de train. J’ai aussi déjà participé à des comptages dans les trains, et malheureusement, lors d’un de ces comptages, nous avons été témoins d’un incident où quelqu’un a été percuté et le conducteur a dû effectuer un frein d’urgence. Ça m’a vraiment fait prendre conscience de l’importance de la vigilance et de la sécurité au quotidien.
En lisant ton expérience, je me rends compte que la formation permet aussi de beaucoup évoluer. Par exemple, certains camarades arrivent timides ou réservés, mais apprennent à s’affirmer, gérer la pression et prendre confiance en eux. Ça montre que même si on n’a pas toutes ces qualités au départ, on peut les développer avec de la volonté, ce qui est essentiel pour réussir dans ce métier.
Je voulais revenir sur la dernière question quand tu as évoqué le sujet de ton ami.
J’ai quelques questions sur le métier et le fonctionnement au quotidien. Tu peux répondre au plus simple, sans entrer trop dans les détails si certaines choses ne peuvent pas être révélées, et si certaines questions ne peuvent pas être répondues, ce n’est pas grave :
• À quoi ressemble une journée type pour un conducteur, du début à la fin ?
• Comment se prépare-t-on avant un trajet et quelles vérifications effectue-t-on systématiquement ?
• Comment se passe la relève entre conducteurs ou la prise de service au dépôt ou en gare ? J’ai entendu parler de réserve et de roulement, peux-tu m’expliquer comment ça fonctionne ?
• Comment coordonnes-tu avec le centre de régulation ou les autres agents pendant le trajet ?
• Quelles sont les différences majeures entre conduire un TER, un TGV ou un train de banlieue au quotidien ?
• Quelles sont les tâches “hors conduite” qu’un conducteur doit gérer au quotidien (rapports, communication, vérifications) ?
Merci encore pour ton temps et tes réponses, c’est vraiment précieux pour moi.
( j’aurais d’autres questions )
lundi, septembre 22, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Eh bien c'est top de lire que tu es satisfait de mes réponses, le réseau Ambassadeur a été créé en 2014 pour justement répondre à un besoin croissant des candidats d'obtenir des informations sur la réalité de nos métiers et comment ils s'exercent au quotidien, à travers la vision d´agents qui le font et qui vont dire les choses comme elles sont, pas la vision biaisée d'un recruteur. Je suis donc content car on est en plein dans le thème.
Ce n'est jamais gai de vivre un accident de personne, et effectivement la vigilance constante est primordiale en conduite.
A priori je peux répondre à toutes les questions, je ne peux bien sûr pas entrer dans le détail de procédures sécurité c'est tout.
- À quoi ressemble une journée type pour un conducteur, du début à la fin ?
On a pas vraiment de journée type, les tâches et missions varient chaque jour. Les immuables étant :
-la prise de service : 10 minutes au dépôt pour consulter les documents et préparer la mission du jour, voire de deux jours si on part en découché, vérifier les modifications éventuelles à l'infrastructure dont on devrait tenir compte lors des trajets ou les notes sécurité, prendre connaissance des derniers retours d'expérience, prendre connaissance et émarger d'éventuelles modifications réglementaires.
-la fin de service : 3 minutes pour restituer les ordres reçus en cours de route, et établir le rapport du jour, appelé bulletin de service (j'y reviendrai)
• Comment se prépare-t-on avant un trajet et quelles vérifications effectue-t-on systématiquement ?
On va déjà se préparer dès la veille en essayant d'avoir les meilleures conditions de sommeil pour être frais le lendemain, et bien sûr en évitant toute consommation d'alcool. Un conducteur doit tout faire pour être en pleine possession de ses capacités. Le jour J on va aussi se préparer mentalement en tenant compte de la météo qui va influencer la conduite mais aussi (on y pense moins) de son état d'attention qui peut être perturbé par les tracas personnels, l'organisation de vacances prochaines, ou bien le retour de vacances justement... plein de petits éléments qui rendent un conducteur moins vigilant, donc en être conscient avant de commencer son service c'est déjà un grand pas.
Après on va consulter le planning avec la tablette fournie par l'entreprise, on va télécharger les documents horaires relatifs à nos trains et en prendre connaissance pour détecter les pièges (arrêts atypiques ou arrêts habituels non desservis, marche détendue ou serrée, etc), on va aussi commencer à déterminer notre vitesse limite la plus basse pour chaque train à faire en fonction de sa catégorie, de ce que permettent les infrastructures, de ce que permettent les engins et regarder s'il y a déjà des modifications de signalisation ou des limitations temporaires de vitesse le long de nos trajets à venir.
Une fois sur le train les manipulations à effectuer dépendent de l'état dans lequel on a trouvé le train (éteint, en maintien de service ou relais de conducteurs par exemple). Mais globalement il y a deux choses qui se retrouvent à chaque fois : l'essai de la commande des freins (vérifier que les freins agissent comme ils sont censés le faire) et l'essai à l'arrêt de nos dispositifs de sécurité. S'y rajoutent beaucoup d'autres vérifications selon l'état du train et ce qui était inscrit au roulement comme opérations à effectuer.
- Comment se passe la relève entre conducteurs ou la prise de service au dépôt ou en gare ?
Bon la prise de service on vient d'en parler, la relève de conducteurs c'est simple, on va prendre quelques minutes avec le conducteur qui avait la rame qu'on reprend, il va nous indiquer s'il a observé des particularités au carnet de bord (ce qui n'empêche pas sa consultation au premier moment favorable), combien de carburant il reste si l'engin fonctionne au diesel, les éventuels problèmes qu'il a pu rencontrer en ligne (concernant l'engin ou les conditions de circulation), etc. Ça se fait rapidement, on a parfois encore le temps d'échanger quelques mots avant d'aller remettre le train en service.
- J’ai entendu parler de réserve et de roulement, peux-tu m’expliquer comment ça fonctionne ?
Alors il y a deux sujets distincts. Pour ce qui est de la réserve : tous les conducteurs, en roulement ou pas, font des journées de "réserve" par-ci par-là selon les besoins de la commande. Une journée de réserve, c'est une journée au dépôt à attendre d'être éventuellement appelé (ou pas). Cela apporte de la souplesse à l'entreprise car on est là pour pouvoir pallier en urgence à l'absence d'un collègue (bloqué en ligne ou sur la route ou malade par exemple) et faire soit les trains qu'il devait faire soit juste une partie de ses tâches le temps qu'il arrive, on peut aussi être amené à faire un échange d'engin (si le train d'un collègue a eu une panne ou une dégradation qui le rend inapte au service commercial on peut alors préparer et sortir un autre engin apte à la place et lui positionner à quai pour que le service puisse continuer).
Pour ce qui est des roulements : un jeune conducteur commence par une période de service dit "facultatif" (FAC) : il n'est pas encore classé dans un roulement, il ne connaît donc pas son planning à l'avance, seulement ses journées de repos sur les 30 prochains jours, mais il ne sait pas ce qu'il fera durant les journées de travail, tout lui sera communiqué par sa commande au fur et à mesure qu'on lui établit le planning. La durée de cette période de FAC est variable. Lorsqu´il est possible de le faire, le conducteur intègre un roulement, c'est à dire qu'il a maintenant le déroulé de ses journées de travail et de leur contenu, ainsi que de ses repos pour toute une période définie au service annuel. Selon les aléas ces journées peuvent bien sûr subir des modifications de dernière minute mais le conduteur a au-moins une visibilité sur le long terme de ce qu'il va faire et peut mieux s'organiser pour sa vie personnelle. Chaque dépôt a un "roulement d'accueil", tout le monde commence là qu'on soit jeune conducteur ou conducteur expérimenté venant suite à une mutation. Ensuite plus on monte en roulement plus on va acquérir de compétences avec des nouvelles lignes et des nouveaux engins, des trains plus longs, plus rapides.
• Comment coordonnes-tu avec le centre de régulation ou les autres agents pendant le trajet ?
Si on a un contrôleur (on les appelle ASCT dans notre jargon), on fait un briefing rapide ensemble avant le départ pour vérifier qu'on a bien les mêmes arrêts sur nos documents par exemple. En cours de route si on a besoin de lui on a plusieurs façons de le joindre.
Pour le reste on dispose en cabine d'une radio, pas comme une voiture mais une radio ferroviaire cryptée qui nous permet d'établir des communications sécurisées entre les trains ou avec des agents au sol. Par rapport à la régulation, on va distinguer la régulation du trafic (Régulateur de SNCF Réseau ou bien les aiguilleurs) et le centre opérationnel qui lui est géré par SNCF Voyageurs. Les régulateurs ou aiguilleurs vont utiliser la radio pour nous délivrer des informations ou des ordres relatifs à la bonne marche du trafic sur leur périmètre d'action, et dans l'autre sens les conducteurs vont pouvoir les avertir de la même manière s'ils observent quelque chose d'anormal ou s'il y a un problème. Le centre opérationnel peut également nous joindre sur cette radio, généralement ça va être pour nous informer d'une modification dans la journée, par exemple garer l'engin dans un lieu différent de ce qui était prévu ou bien ne pas l'éteindre et le laisser à un autre collègue. Il y a aussi des zones où il n'y a pas encore de couverture radio (lignes à faible trafic notamment car l'installation et la maintenance des antennes est coûteuse), dans ce cas là nous avons un téléphone professionnel sur lequel on doit s'enregistrer, mais ce téléphone ne sert qu'à nous arrêter d'urgence, on ne pourra pas nous appeler juste pour nous informer de quelque chose (le téléphone est strictement interdit en conduite).
• Quelles sont les différences majeures entre conduire un TER, un TGV ou un train de banlieue au quotidien ?
Outre la vitesse (surtout pour le TGV), il y a surtout la fréquence des arrêts et la distance entre chaque arrêt qui sont les différences majeures entre ces types de service.
• Quelles sont les tâches “hors conduite” qu’un conducteur doit gérer au quotidien (rapports, communication, vérifications) ?
Hors conduite on va devoir gérer notre tenue vestimentaire par exemple (eh oui il y a des choses qu'on a pas le droit de porter par rapport aux risques qu'on encourt quand on chemine dans les voies), il faut avoir ça à l'esprit quand on s'habille. On ne porte pas forcément ce qu'on veut. On doit se tenir à jour sur les évolutions de réglements, de procédures, de documents. On doit aussi faire attention à notre planning au quotidien, il y a des règles bien précises à suivre qui sont parfois oubliées (volontairement ou non) par le service de commande et le conducteur doit y être vigilant car si les heures légales de travail ou de repos ne sont pas respectées et qu'il arrive quoi que ce soit, c'est le conducteur que la justice viendra chercher. Nous sommes pénalement responsables de nos actions et du respect de la réglementation en vigueur. Notre grande autonomie de travail au quotidien vient à ce prix, c'est une responsabilité de plus.
Niveau administratif, le conducteur doit restituer à l'entreprise tous les ordres reçus en cours de route (pour que l'on puisse vérifier leur conformité et surtout leur respect en analysant les actions du conducteur enregistrées dans la "boîte noire" du train). Le conducteur doit également (et souvent sur son temps libre) rédiger un rapport après chaque journée de service, où il détaille tout ce qui a pu lui arriver, toutes les modifications et incidents qui ont eu lieu et comment il les a traités, quels engins ont été conduits et de où à où et si les horaires ont été respectés, quelles autres tâches il a réalisé (manoeuvre, etc), quel équipement en personnel avait chaque train (et parfois quels paramètres il avait défini dans les systèmes de sécurité pour les engins les plus vieux). C'est très complet et le conducteur doit faire attention à ce qu'il met car une partie du salaire dépend de ce qui est mis dans ce rapport quotidien.
Voilà je pense avoir fait le tour, j'attends tes prochaines questions, et si tu veux revenir sur un point précis ou l'approfondir ou si quelque chose n'est pas clair n'hésite pas.
lundi, septembre 22, 2025
Pierre R.
Merci beaucoup pour toutes ces explications hyper détaillées, c’est vraiment passionnant de découvrir à quel point votre métier demande à la fois de la rigueur, de l’anticipation et une grande autonomie. On se rend compte que c’est bien plus qu’“appuyer sur un levier”, comme certains pourraient le penser. J’ai trouvé particulièrement intéressant tout ce que vous avez partagé sur la préparation mentale avant un trajet, la gestion des roulements ou encore la responsabilité pénale du conducteur.
J’aurais encore quelques questions si vous le permettez :
- Est-ce qu’un conducteur peut choisir de se spécialiser, par exemple rester sur des TER ou au contraire évoluer vers le TGV, ou est-ce l’entreprise qui décide en fonction des besoins ?
- Qu’est-ce qui, pour vous, est le plus gratifiant au quotidien dans ce métier ?
- Y a-t-il des moments particulièrement stressants, ou au contraire des instants que vous trouvez presque “magiques”, comme certains paysages ou des lignes que vous aimez particulièrement conduire ?
- Comment se déroule l’évolution de carrière : peut-on, avec l’expérience, devenir formateur, dpx traction ou occuper d’autres postes ?
- Est-ce que l’organisation en horaires décalés reste difficile à gérer sur le long terme, ou finit-on par s’y habituer ?
Encore merci pour le temps que vous prenez pour partager votre expérience, c’est vraiment précieux pour mieux comprendre la réalité du terrain
mardi, septembre 23, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Eh oui contrairement à ce que l'on pourrait penser en voyant le métier de l'extérieur nous ne sommes pas de simples "pousse-manettes" comme on aime à en plaisanter. Ce n'est pas pour rien que la sélection est aussi drastique et que la formation dure un an.
C'est un métier aux multiples facettes, qui requièrt beaucoup de compétences techniques, non techniques et même sociales parfois.
Autant de questions que tu voudras Pierre, c'est un réel plaisir d'échanger avec quelqu'un d'aussi curieux.
- Est-ce qu’un conducteur peut choisir de se spécialiser, par exemple rester sur des TER ou au contraire évoluer vers le TGV, ou est-ce l’entreprise qui décide en fonction des besoins ?
Alors déjà l'accès au TGV est particulièrement complexe, il y a des listes d'attente longues et les places sont limitées. Actuellement il faut déjà avoir conduit des trains classiques (TER, Intercités) pendant près de 20 ans pour pouvoir seulement prétendre au TGV. Le temps venu, c'est l'entreprise qui PROPOSE le passage au TGV. Personne n'est obligé d'accepter, si un conducteur préfère les trains classiques à la très haute vitesse rien ne l'oblige à monter au TGV. Sans parler de spécialisation c'est au libre choix de chaque individu.
- Qu’est-ce qui, pour vous, est le plus gratifiant au quotidien dans ce métier ?
Le plus gratifiant je dirais c'est d'arriver à l'heure à la seconde près au terminus en ayant fait un train en toute sécurité tout le long, sans boulette, et encore mieux si on a rattrapé un retard en ligne, et voir le flot presque incessant de voyageurs qui descend de la rame pour faire leurs vies sans se douter du travail qu'on a fourni en cabine, là c'est la saveur du travail bien fait.
- Y a-t-il des moments particulièrement stressants, ou au contraire des instants que vous trouvez presque “magiques”, comme certains paysages ou des lignes que vous aimez particulièrement conduire ?
Des moments stressants il y en a bien sûr, comme j'en ai déjà parlé plus haut. Après il y a aussi des instants magiques en effet, un lever de soleil avec une belle lumière en traversant la campagne à 160 km/h par exemple. Ou encore quand un enfant nous fait des grands signes et voir ses yeux s'illuminer quand on répond avec un petit coup de sifflet, ça n'a pas de prix de mettre des étoiles dans leurs yeux (et pour moi ça a commencé comme ça, on déclenche peut-être des vocations sans le savoir).
J'ai des lignes que je préfère à d'autres, des engins aussi. Après c'est aussi la diversité qui fait l'intérêt de ce travail et on a davantage plaisir à revenir sur une ligne ou un engin qu'on apprécie quand on ne l'a pas fait un certain temps.
- Comment se déroule l’évolution de carrière : peut-on, avec l’expérience, devenir formateur, dpx traction ou occuper d’autres postes ?
Tout à fait, la première évolution est de devenir moniteur, donc accompagner des apprenants au long de leur formation. Par la suite si on souhaite développer d'autres compétences on peut d'abord devenir formateur d'entreprise, puis dans un second temps évoluer vers le métier de DPx Traction et encadrer une équipe de conducteurs. Plus tard encore avec l'expérience on peut encore évoluer vers d'autres métiers dans la chaîne hiérarchique, mais la conduite se fera de plus en plus rare au fil qu'on monte.
- Est-ce que l’organisation en horaires décalés reste difficile à gérer sur le long terme, ou finit-on par s’y habituer ?
Personellement je m'y retrouve, on est peu souvent chez nous mais on y est sur des horaires où la majorité des gens travaillent donc on a plus de latitude pour prendre des rendez-vous en semaine ou faire des courses et éviter la foule des weekends. Après chacun voit midi à sa porte, certains ont toujours davantage de difficultés que d'autres à apprécier ce rythme. Il y a aussi une question de sommeil, car c'est une vie éprouvante pour l'organisme, et les plus gros dormeurs vont sans doute passer davantage de temps à récupérer à la maison avec une sieste et du coup avoir moins la possibilité de pouvoir profiter de ce temps-là pour autre chose. Après au fil des années j'estime que la fatigue peut se dompter mais il est vrai que les premiers temps avant que le cerveau n'automatise certaines tâches, la conduite consomme beaucoup de ressources mentales et on est vite lessivé. C'est comme pour le permis de conduire, les premiers temps on fatigue très vite devant tout ce qu'on doit regarder et analyser avant de prendre une décision et au fil du temps on devient plus à l'aise et on finit par oublier à quel point c'était fatiguant au début.
Pour résumer ça dépend des individus et de leurs capacités respectives, ma réponse n'engage que mon ressenti personnel sur la question mais d'autres pourraient y répondre bien différemment.
Et il est reconnu médicalement que ce rythme réduit l'espérance de vie, d'où la nécessité de vivre le plus sainement possible (sans se priver mais sans excès non plus). Sinon les problèmes de santé incompatibles avec la conduite peuvent vite arriver. C'est donc aussi quelque chose à prendre en compte au quotidien et ça peut finir par peser, tout comme la relative solitude du travail, sur le long terme certains peuvent mal le vivre. C'est pour ça que tes questions sont pertinentes, au-moins tu te forges une meilleure idée de ce dans quoi tu t'embarques. Pour autant, on a beau le savoir avant d'arriver en formation, il n'y a que le vivre qui fait réaliser à quel point ça peut être dur de gérer cette vie de changements d'horaires quotidiens et concilier cela avec une vie sociale et familiale.
mardi, septembre 23, 2025
Pierre R.
Bonjour,
Comment vas-tu ?
Merci beaucoup pour toutes ces précisions, c’est vraiment super enrichissant de te lire.
On sent bien à travers tes mots que le métier est à la fois exigeant, passionnant et très formateur, bien loin de l’image simpliste qu’on peut en avoir de l’extérieur.
J’ai trouvé particulièrement intéressant ce que tu dis sur l’accès au TGV, la diversité des lignes, et aussi sur l’équilibre à trouver avec les horaires décalés : c’est une réalité importante à connaître avant de se lancer.
J’aime beaucoup aussi la façon dont tu parles des petits moments magiques, comme un lever de soleil ou un enfant qui fait signe – ça donne une belle dimension humaine au poste, malgré la solitude de la cabine.
J’aurais encore quelques questions si tu veux bien :
- Y a-t-il une ligne ou un type de train que tu rêves encore de conduire, même après toutes ces années ?
- Quel a été pour toi le plus gros défi à relever depuis tes débuts dans le métier ?
- Est-ce qu’il existe une manœuvre ou une situation technique particulièrement complexe qui demande une concentration extrême ?
- As-tu déjà vécu un incident ou un imprévu qui t’a marqué et dont tu as beaucoup appris ?
- Quelles sont, selon toi, les qualités essentielles pour être un bon conducteur sur le long terme ?
- Est-ce que l’ambiance entre collègues est plutôt soudée, même si chacun travaille en grande autonomie ?
- Y a-t-il une anecdote positive ou amusante qui te revient souvent en mémoire ?
- Si tu devais donner un conseil à quelqu’un qui veut se lancer, quel serait-il ?
- Y a-t-il une différence d’ambiance ou de sensations marquante entre la conduite de jour et de nuit ?
Encore un grand merci de prendre le temps de partager tout ça, c’est vraiment précieux pour mieux comprendre la réalité du terrain.
mercredi, septembre 24, 2025
Corentin L.
Conducteur de Ligne
Bonjour Pierre,
Je vais bien merci et toi?
Effectivement on essaie de trouver des moments humains où l'on peut malgré la solitude de la cabine.
- Y a-t-il une ligne ou un type de train que tu rêves encore de conduire, même après toutes ces années ?
Oh je ne conduis que depuis un an et demi, donc on ne peut pas encore de "toutes ces années" même si je suis cheminot depuis plus de 10 ans maintenant. Il n'y a pas forcément de ligne particulière qui me fasse de l'oeil. Maintenant au niveau des trains j'espère un jour pouvoir accéder à la très grande vitesse, et pourquoi pas chez Eurostar, ce serait un beau défi personnel. Mais la route est encore longue jusque là!
- Quel a été pour toi le plus gros défi à relever depuis tes débuts dans le métier ?
Le plus dur pour moi a été je pense de me sentir légitime à être conducteur. J'ai traversé une période de doute intense même en ayant obtenu l'examen, je me suis mis énormément de pression pour y arriver (et ne pas y arriver de manière médiocre), et j'essaie de maintenir un haut niveau d'exigence envers moi-même. J'avais besoin de me prouver que j'étais capable de faire ce métier sur le long terme, en faisant le moins d'erreurs possible. J'ai mis 9 mois avant de commencer à me sentir à ma place et réellement apte à faire mon travail et à le faire bien. Il faut dire qu'une reconversion n'est jamais aisée, je maîtrisais bien mon métier précédent et du jour au lendemain j'ai dû presque tout abandonner pour recommencer de quasiment zéro. Du coup je n'avais plus confiance en mes capacités à bien travailler, et si l'on rajoute la pression que je me mettais en revoyant le petit garçon que j'avais été et qui rêvait déjà d'être à cette place, c'était suffisant pour saper la confiance en moi dont j'aurais dû faire preuve. Paradoxalement, ça m'a aussi évité de tomber trop vite dans le relâchement et l'excès de confiance qui conduit nombre de jeunes conducteurs à commettre de plus grosses erreurs au moment où ils commencent à maîtriser le métier et que tout se passe plutôt bien.
- Est-ce qu’il existe une manœuvre ou une situation technique particulièrement complexe qui demande une concentration extrême ?
Oui, même une "simple" manoeuvre requièrt beaucoup de concentration : on doit avoir les yeux partout; sur la vitesse, sur les signaux, sur les signaux et ordres de manoeuvre qui peuvent nous être transmis, dans plusieurs cas on annule aussi des dispositifs de sécurité pour réaliser la manoeuvre donc techniquement on fait sauter plusieurs boucles de rattrapage nous rendant seuls garants de la sécurité du convoi... on a pour dicton "petit mouvement = grand danger" et c'est véridique. On pourrait aussi parler de l'application de procédures lourdes, ou encore de situations dites imbriquées (le cumul de plusieurs signalisations, règles de conduite, etc.). Mais c'est probablement la "marche à vue" qui demande le plus de concentration sur un temps plus ou moins long, le conducteur devant rouler selon la partie de voie qu'il aperçoit (donc ça change selon la météo, l'heure du jour ou de la nuit) en tenant compte de la distance d'arrêt de son train (et sur un train de voyageurs il s'écoule 6 secondes avant que le freinage commandé atteingne son efficacité maximale, 24 secondes sur un train de marchandises, il faut tenir donc compte de ces délais + le délai pour obtenir l'arrêt complet qui augmente avec la vitesse). En sachant qu'en marche à vue le conducteur est là encore pénalement responsable de toute collision (obstacle, gibier, personne)... il faut donc pouvoir s'arrêter avant de toucher quoi que ce soit qui pourrait surgir devant nous, le juge ne cherchera pas à comprendre autre chose que ce que dit le règlement. C'est pourquoi ce type de marche demande une analyse constante et une conscience de l'environnement du train plus poussée qu'en roulant normalement.
- As-tu déjà vécu un incident ou un imprévu qui t’a marqué et dont tu as beaucoup appris ?
Tout ce qu'on vit a un potentiel d'apprentissage, qu'on ait ou non bien traité la situation. C'est toujours source d´expérience.
- Quelles sont, selon toi, les qualités essentielles pour être un bon conducteur sur le long terme ?
Être extrêmement rigoureux, savoir ce que l'on fait sans avoir trop confiance en soi (savoir se remettre en question), être capable d'apprendre de ses erreurs et de mettre en place des parades pour qu'elles ne puissent plus se reproduire. Et savoir mettre de côté la pression temporelle. (La pression on la boit, on ne la subit pas... mais bien sûr jamais avant de conduire!)
- Est-ce que l’ambiance entre collègues est plutôt soudée, même si chacun travaille en grande autonomie ?
Oui tout à fait, comme je disais on a cette reconnaissance d'appartenir à la famille cheminote (y compris avec les conducteurs d'entreprises concurrentes), et on sait ce qu'on a dû traverser pour aller chercher le précieux diplôme donc il y a ce respect en plus de la profession entre nous.
- Y a-t-il une anecdote positive ou amusante qui te revient souvent en mémoire ?
On vit beaucoup de choses, il est difficile de n'en retenir qu'une.
- Si tu devais donner un conseil à quelqu’un qui veut se lancer, quel serait-il ?
Prends le temps : de te renseigner, d'apprendre, de développer des compétences, etc. Pas de précipitation. La patience est une qualité essentielle dans l'entreprise et au travail.
Y
- Y a-t-il une différence d’ambiance ou de sensations marquante entre la conduite de jour et de nuit ?
Oh que oui. La nuit tout est différent, on perd les repères qu'on avait le jour. La notion de distance change complètement, on a l'impression d'arriver beaucoup plus vite sur un quai et d'avoir moins de distance qu'il n'y en a réellement. Les signaux sont en revanche plus visibles et de plus loin aussi.
Par contre on voit beaucoup moins bien les rails : doucement on équipe les trains même plus anciens de nouveaux phares LED suite à une nouvelle norme européenne, mais beaucoup de matériels un peu âgé n'en sont pas encore équipés, et les phares d'ancienne génération ont été conçus dans l'optique d'être vus, mais pas de voir. Il n'est donc pas rare sur ces trains de ne rien voir à plus de 10 mètres devant, et ce quelle que soit la vitesse...
jeudi, septembre 25, 2025